DE LA SCIENCE OCCIDENTALE À LA MÉDECINE TRADITIONNELLE AFRICAINE

7 octobre 2009
Dr Yvette Parès

Docteur Yvette Parès:

Un parcours de la science occidentale

                                à la médecine traditionnelle africaine

 Quels enseignements ?

La recherche scientifique m’avait fortement attirée et passionnée. Trois domaines d’activités s’étaient succédés, ouvrant chacun un horizon nouveau: physiologie végétale, microbiologie du sol avec la mise en évidence de bactéries solubilisant l’or de minerais aurifères et enfin bactériologie avec, en particulier, le bacille de la lèpre, Mycobacterium leprae.

Ce germe était réputé incultivable car il avait résisté à tous les essais au cours d’un siècle. Néanmoins, il paraissait indispensable de reprendre les travaux malgré les difficultés prévisibles.

En 1982, selon les conceptions occidentales, j’exprimai dans la revue « France Africaine » cette nécessité:

Le point fondamental pour une véritable lutte antilépreuse est l’obtention de cultures du bacille de Hansen, de son nom scientifique Mycobacterium leprae.

La culture du germe lépreux rendrait possible, grâce à la technique des antibiogrammes, la recherche de nouveaux médicaments d’origine chimique ou végétale.

C’est dans cette optique dont le caractère réducteur et illusoire m’apparut plus tard que des travaux furent effectués à l’Université de Dakar au Sénégal, de 1969 à 1982.

Près de trois ans s’écoulèrent avec une multitude d’essais toujours négatifs lorsqu’un dernière expérimentation se révéla fructueuse. Une mycobactérie nouvelle était régulièrement cultivée à partir de produits pathologiques lépreux. De toute évidence, elle devait correspondre à M. Leprae.

Des antibiogrammes pratiqués montrèrent l’action bénéfique des plantes antilépreuses de la pharmacopée africaine. Il est des événemments qui bouleversent le cours d’une vie. Ces résultats scientifiques allaient jouer ce rôle inattendu.

La chimiothérapie avait montré toutes ses défaillances,: Les plantes antilépreuses apportaient une alternative qu’il fallait explorer. Une obligation éthique exigeait donc, pour le bien des malades, de demander le renfort d’un autre savoir, celui des praticiens traditionnels de haut niveau dont l’une des spécialités était la lèpre.

Malgré tous les obstacles décrits dans mon ouvrage, il me fut donné d’être accueillie en 1980 par un très grand maître Peul, Dadi Diallo. Puis d’autres thérapeutes vinrent étoffer notre équipe.

L’enseignement comportait la récolte des plantes en brousse,  et l’énoncé de leurs vertus médicinales. Venait ensuite la préparation des médicaments souvent très complexes et enfin la conduite des traitements, traitement général et compléments adaptés aux cas cliniques des patients.

Cet enseignement , par oralité, introduisait dans un monde nouveau, un art médical très différent de la médecine occidentale. Grand savoir, communion avec la nature et sagesse le caractérisaient.

Médecine holistique, la médecine africaine se révélait d’une surprenante richesse thérapeutique. On pouvait mesurer l’écart qui séparait le taitement chimique antilépreux limité à une seule visée: un germe, un produit pour le détruire et la complexité des traitements traditionnels.

A la prise en charge du caractère infectieux s’ajoutaient les médications pour l’élimination des toxines bactériennes et tissulaires pour tous les types de lésions et désordres physiques et psychiques qui se manifestent dans la maladie lépreuse.

Les traitements traditionnels ont atteint une étonnante perfection. Quant, au fil du temps, ont-ils été élaborés? Le mystère demeure et ne pourra être élucidé.

Les pays qui détiennent de telles possibilités – et avec une volonté politique – pourraient faire reculer une endémie qui sévit depuis la muit des temps et poursuit ses ravages sur quatre continents.

REFLEXIONS

  1. Sans connaître l’agent pathogène responsable de la lèpre, la médecine africaine au Sénégal a, depuis des temps anciens, élaboré des traitements complexes, d’une grande efficacité.

La culture préablable du bacille de Hansen n’était donc pas indispensable comme l’impliquaient les conceptions occidentales.

2)  La technique des antibiogrammes, tenue en haute estime durant quelques décennies, s’est      révélée une fausse alliée.

Le  temps a montré que tout antibiotique ou toute molécule de synthèse dirigés contre les germes, après des succès éphémères, engendrait des phénomènes de résistance avec l’émergence d’agents infectieux de virulence exacerbée. Le phénomène n’aurait pas manqué de se produire avec des antilépreux nouveaux , comme ce fut déjà le cas avec les anciens qui étaient prescrits

3)  Ces constatations m’avaient fait écrire, en 2004, en évoquant le travail gigantesque qu’avait nécessité l’obtention de la culture de la mycobactérie lépreuse:  Avions-nous travaillé en vain, dans nos chambres stériles, avec nos milliers de tubes et de flacons ensemencés?

La réponse, de toute évidence, n’était pas négative, nos résultats avaient ouvert de nouvelles perspectives et expliqué des phénomènes qui demeuraient obscurs. Mais le doute  ne nous en avait pas moins effleurés et perturbés »

  1. Ces phénomènes obscurs, ces « mystères » ainsi qu’ils étaient qualifiés suscitaient de vives interrogations et ne pouvaient que capter l’attention, dans la recherche scientifique. Ils se rapportaient à des faits cliniques.:

   – la soudaine réapparition d’une multitude de bacilles, chez des patients en « négativation bactériologique » considérés comme très améliorés.

  – la contagiosité de la lèpre tuberculoïde ne comportant que très peu de bacilles et jugée longtemps comme une « lèpre fermée ».

  1. Rechercher la solution de ces « mystères » s’imposait. Elle fut apportée par certains résultats de nos travaux.

Ils démontraient l’existence d’un cycle vital chez Mycobacterium leprae. Le bacille de Hansen en représente une des étapes. Une autre étape, capitale, est constituée par les « formes filtrables ». Ces éléments sphériques sont élaborés en grand nombre à l’intérieur du corps bacillaire puis libérés au moment de la lyse bactérienne. Très ténus, ils traversent les membranes filtrantes qui retiennent les bactéries et ne sont visibles qu’en microscopie électronique. Ils évoluent ensuite progressivement jusqu’au stade du bacille classiquement connu.

Ces éléments qui échappent aux examens de routine sont présents dans les liquides de l’organisme, d’où la contagiosité de toutes les formes de lèpre.

  1. Il ressort de l’ensemble de ces données que si la science n’a pu conduire à une thérapeutique antilépreuse, ella permis de percevoir les impératifs d’une véritable thérapie atteignant l’efficacité.

Il apparaît nettement que les traitements mis en oeuvre doivent assurer non seulement la destruction des bacilles mais agir aussi sur tous les éléments pathologiques du cycle vital de M. Leprae.

  1. L’efficacité des traitements antilépreux de la médecine africaine au Sénégal repose sans doute, ainsi qu’il est logique de le penser, sur une action globale des associations de plantes médicinales envers les différents aspects revêtus par l’agent responsable de la lèpre. En d’autres termes, toutes les étapes du cycle doivent être visées et neutralisées. Parallèlement, l’élimination de toxines ainsi produites constitue une obligation à ne pas négliger, afin d’éviter toute manifestation allergique malencontreuse.

CONCLUSION

Sur des bases autres que scientifiques, la médecine africaine a élaboré des thérapies antilépreuses de grande valeur.

La science, par les données fondamentales issues des travaux de laboratoire, a montré les exigences d’une véritable thérapeutique antilépreuse qui doit tenir compte de toutes les étapes du cycle vital du

bacille   Myctobacterium  Leprae.

La politique sanitaire mondiale concernant la lèpre devrait être révisée en fonction des perspectives nouvelles qui ont été dégagées

Dr Yvette Parès   7.10.2009

Professeur à l’Université de Dakar de 1960 à 1992

Dr ès-science

Dr en médecine

Directrice du centre de recherches biologiques sur la lèpre de 1975 à 1992

Directrice de l’Hôpital Traditionnel de Keur Massar (Sénégal) de 1980 à 2003

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