HOMMAGE A YVETTE PARES

Une grande dame vient de s’éteindre le 9 juillet dernier, et sa mort est passée presque inaperçue, non seulement en France, son pays natal, mais aussi au Sénégal où elle a pourtant passé plus de quarante ans de sa vie, se consacrant sans relâche à la santé de tous. Cette grande dame, c’était Yvette Parès, fondatrice de l’Hôpital traditionnel de Keur Massar en 1980.

Face au silence qui entoure sa disparition, il semble indispensable de rappeler à tous l’œuvre d’Yvette Parès. Par où commencer ? Ce fut tout d’abord une scientifique renommée sur le plan international. Docteur ès Biologie et Docteur en médecine, chercheur au Cnrs, elle enseigna la Biologie à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar de 1960 à 1992, et dirigea pendant dix-sept ans, de 1975 à 1992, le Centre de Recherches biologiques sur la lèpre. Elle fut d’ailleurs la première au monde à cultiver le bacille de la lèpre.

Comment cette scientifique française découvrit-elle la médecine traditionnelle africaine ? Les recherches sur la lèpre menées par Yvette Parès dans les années 70 la conduisirent assez rapidement à remettre en cause les thérapeutiques proposées par la médecine occidentale, qu’elle jugea décevantes (rémissions partielles, souffrances persistantes, etc.). C’est à ce moment-là qu’elle fit une rencontre décisive avec un maître peul, Dadi Diallo. La biologiste découvrit alors que les plantes anti lépreuses des tradithérapeutes se révélaient d’une grande efficacité.

Dadi Diallo accepta d’initier Yvette Parès à la médecine traditionnelle africaine. «Un vrai miracle», dira plus tard la scientifique, qui jugeait «extraordinaire que des thérapeutes africains aient fait confiance à une étrangère». Il est vrai que le risque existait que des traitements soient récupérés, «pillés» au profit de firmes pharmaceutiques occidentales…

Pendant quinze ans, humblement, Yvette Parès apprit auprès de son maître l’art de la médecine et de la pharmacopée africaines : connaissance et cueillette des plantes, préparation des remèdes, etc. Et dès l’année 1980, avec Dadi Diallo, elle ouvrait un premier centre de soin pour les lépreux, à la campagne, loin de tout à cette époque-là. En 1985, l’établissement prit le nom d’Hôpital traditionnel de Keur Massar.

Cette structure, qui a redonné à la médecine traditionnelle africaine ses lettres de noblesse, fut la première de ce genre au Sénégal et peut-être au monde.  Yvette Parès l’a dirigée jusqu’en 2003, année où le grand âge la ramena en France : elle avait alors 79 ans.

Depuis sa création, l’Hôpital a accueilli et soigné des centaines de malades. Non seulement des lépreux, mais aussi des personnes atteintes de tuberculose, de dermatoses, d’hépatites, et depuis les années 1980 du Vih-Sida. Sans oublier la plupart des pathologies relevant de la médecine générale : diabète, asthme, sinusites, rhumatismes, paludisme, etc.  Les médecines traditionnelles, toujours à base de plantes (phytothérapie) sont prescrites tant à titre préventif qu’à titre curatif. Parallèlement, les activités de recherche ont toujours été menées pour trouver de nouveaux traitements aux nouvelles maladies qui apparaissent régulièrement. Sans oublier les activités sociales : scolarisation des enfants de lépreux, par exemple.

A une époque où la médecine occidentale se remet elle-même en question sur bien des points (résistance aux antibiotiques, effets secondaires fréquents, coût élevé de nombreux traitements, etc.) et où bien des personnes, en Europe ou aux Etats-Unis, se tournent vers les médecines dites parallèles ou alternatives, on ne peut que rendre hommage au travail pionnier d’Yvette Parès et de son équipe de Keur Massar.

Les recherches et analyses d’Yvette Parès n’ont, il est vrai, pas toujours reçu un écho positif. Selon elle, beaucoup de médecins et d’Etats africains étaient trop «pris par le mirage occidental», autrement dit par l’idée d’une soi-disant supériorité de la médecine occidentale, pour accepter ses idées. Malgré ses compétences scientifiques indéniables, elle fut aussi critiquée par des Ong d’aide aux lépreux ou aux sidéens pour avoir osé affirmer, preuves vivantes à l’appui, que les médecines traditionnelles africaines proposaient des traitements efficaces contre ces maladies.

Pourtant, de grandes nations du «Sud» n’ont aucun complexe vis-à-vis de la médecine occidentale : en Chine, les malades sont soignés en grande partie dans des hôpitaux traditionnels. Il en va de même en Inde, où la médecine ayurvédique, millénaire, est toujours très pratiquée. Aujourd’hui, il ne s’agit plus d’opposer médecine occidentale et médecine traditionnelle, mais de puiser dans chacune d’elles ce qu’il y  a de meilleur, donc de ne pas regarder avec condescendance, voire avec mépris, la médecine traditionnelle. Le fait que le Sénégal possède une telle richesse thérapeutique, un tel savoir ancestral, devrait au contraire être une source de fierté pour les Sénégalais.

C’est sans doute cela que nous a appris Yvette Parès. Espérons qu’un hommage plus officiel soit rendu à cette scientifique qui a tant donné au Sénégal.

Maryse BERDAH-BAH