Par Lucie Hubert le lundi 17 mai 2004 à Paris
QUESTION : Professeur Yvette Pares, vous avez reçu l’année dernière le Prix de la Fondation Denis Guichard pour honorer un parcours hors du commun. Pourriez-vous m’en tracer les grandes lignes.
Pr. Yvette Parès : C’est en quelque sorte, par vocation que je suis allée en Afrique. À l’université, je faisais partie d’un groupement d’amitié internationale, avec des étudiants africains, marocains, indiens, antillais, espagnols et ces étudiants m’avaient invitée à venir travailler chez eux. Mais à l’époque, je ne pensais pas encore à quitter la France. L’Afrique m’attirait, il est vrai mais je ne voulais pas partir sans métier véritable. J’ai attendu qu’un poste se libère à l’université de Dakar pour m’installer au Sénégal en 1960. J’étais biologiste, je faisais des recherches en biologie végétale mais ce que je préférais à tout était la bactériologie et j’ai fini par y arriver.
Quand je suis arrivée à Dakar, le bureau de recherche du BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) cherchait une bactériologiste pour mener des travaux sur l’extraction de l’or des latérites trop pauvres pour êtres traités chimiquement et j’ai été engagée immédiatement. J’ai fait des recherches de microbiologie du sol et nous sommes arrivés à trouver des bactéries qui dissolvaient l’or, ce qui a suscité un intérêt dans le monde entier puisqu’on reçu des demandes venant d’Europe, de l’URSS et même de la NASA aux Etatsunis. L’or fait flamber les esprits…
Ces recherches sur l’or m’ont passionné et m’ont appris à travailler en grand. Il a fallu faire des essais par centaines, par milliers de flacons, et j’avais une grosse équipe. Je finis par être rodée pour gérer ces multiples expériences simultanément. Mais je restais toujours attirée par la bactériologie médicale et c’est pourquoi je commençai en 1962 des études de médecine, études que j’ai terminé en 68. Durant cette époque, je continuais à superviser les recherches au BRGM et je travaillais jour et nuit. Je ne sais pas comment j’ai tenu le coup, on dit que la foi soulève les montagnes, enfin, je suis arrivée au bout.
Un médecin militaire m’a demandé alors de faire des recherches sur la lèpre. Ma thèse de médecine portant sur les métaux cancérigènes, je refusais tout d’abord d’autant plus que l’on n’avait pas encore réussi à cultiver le bacille de la lèpre, donc aucun progrès ne pouvait être fait pour combattre cette maladie. Je n’avais aucune envie de refaire le travail de mes prédécesseurs. Mais il insistait en me disant que j’étais en Afrique et que je devais faire un travail d’intérêt africain. Je finis par l’écouter. Je décidais alors de prendre le mal à la racine et d’essayer de cultiver le bacille. Je me donnais 3 ans pour y arriver, faute de quoi j’arrêterais mes recherches.
J’ai commencé par faire la bibliographie sur la lèpre. Durant mes études de médecine, je n’avais appris que très peu de chose, sinon rien sur cette maladie et l’on affirmait que les médicaments sur le marché pouvaient la guérir. Puis je suis passée a l’action. Il m’a fallu une chambre stérile pour faire les essais bactériologiques, les ensemencements, et il m’a fallu aussi trouver du matériel pathologique. J’avais entendu parler avec grand respect d’une religieuse de Dakar, sœur Lenaïk. Chaque fois qu’un lépreux arrivait à l’hôpital, on l’envoyait à sœur de Lenaïk. Je demande rendez-vous avec elle. C’était une religieuse d’une jeunesse, d’une beauté extraordinaire avec un sourire merveilleux, une bretonne aux yeux bleus. C’est elle qui m’a approvisionné en matériel pathologique, en biopsies et en prélèvements sanguins. J’en demandais un minimum par respect pour les malades, mais avec ce que nous avons eu nous avons pu mener nos recherches jusqu’au bout malgré certaines personnes qui ne voyaient pas d’un bon œil nos recherches. C’est ainsi qu’à un moment donné sœur Lenaïk reçu l’ordre de son patron, un médecin général, de ne plus me fournir de produits pathologiques. Mais la religieuse estimant que l’ordre donné était injuste décida de ne pas s’y soumettre et demanda aux malades s’ils acceptaient de continuer à me fournir du sang ou un bout de peau, ce qu’ils acceptèrent. Lorsque son patron partait le soir, elle faisait les prélèvements et envoyait son infirmier m’apporter le matériel. Le patron n’a jamais rien su. C’est ainsi que j’ai pu mener mon travail jusqu’au bout. S’il n’y avait pas eu cette religieuse qui a tenu tête à son patron, je n’aurais pas pu continuer mes recherches et Keur Massar n’aurait pas existé
Et c’est ainsi que grâce aux connaissances apprises par mes travaux en microbiologie du sol, j’a fini par réussir à cultiver le bacille de la lèpre.
J’ai pu alors faire des antibiogrammes et vérifier l’action des produits chimiques et des plantes anti-lépreuses.
Mais il y a eu bientôt une levée de boucliers. Le milieu scientifique est très dur, vous savez, et il a beaucoup de jalousie entre les chercheurs. Un chercheur américain essayait, lui aussi, de cultiver le bacille de la lèpre et il ne voulait pas que j’arrive avant lui. Je subissais une forte pression de la part de quelques laboratoires et centres de recherche. Certains chercheurs m’ont demandé à plusieurs reprises de céder mes souches pour pouvoir vérifier si le bacille que j’avais cultivé était bien celui de la lèpre. Je refusais, leur alléguant que, n’ayant aucune souche de référence, ils seraient incapables de vérifier quoique ce soit. Je leur suggérais que le seul moyen de s’assurer que le bacille était bien celui de la lèpre était de soumettre mes milieux de culture et mes méthodes à l’expertise de chercheurs de l’Inde, du Japon, de pays où la maladie existe. Je sentais de leur part beaucoup de mauvaise foi, de mauvaise volonté et l’OMS n’a pas voulu reprendre le travail. Mais quand on retire plus de 80 fois la même mycobactérie nouvelle, avec des caractères biochimiques tellement différents des autres, que voulez-vous que ce soit ?
Question : A t’on finalement reconnu que vous aviez découvert le bacille de la lèpre ?
Pr. Y. Parès : L’affaire a été étouffée. À l’époque je croyais aux vaccins et j’espérais trouver le vaccin pour la lèpre. En réalité, c’était stupide car les enfants de femmes lépreuses sont déjà infectés dans le sein de leur mère, et par la suite, lorsqu’ils sont allaités. Dans cet environnement bourré de microbes, ils sont tous contaminés même s’ils ne développent pas – tout de suite – la maladie. Mais le vaccin m’apparaissait au début comme une voie de sauvetage et je m’attelais à le trouver. Il me fallait tout d’abord breveter mes souches et mon avocate me suggéra deux endroits, l’Institut Pasteur de Paris et un Institut à Delft, aux PaysBas. L’Institut Pasteur, voulant prendre mes souches sans numéro ni date de dépôt, je finis par aller à Delft où je les ai déposées. Aujourd’hui, après 10 ans, la découverte est tombée dans le domaine public et puis, maintenant qu’il y a le Sida plus personne ne s’intéresse à la lèpre. Mais le milieu scientifique est terrible. Laissez- moi vous raconter une histoire : A l’époque, j’avais un élève pharmacien de l’île de la Réunion que la fac de médecine m’avait envoyé pour faire une thèse chez moi. Je lui demandais de cultiver le bacille sur différents hydrocarbures. Je le cultivais moi-même sur l’huile de la paraffine, mais je désirais connaître le support le plus approprié. Cet élève était parvenu à faire pousser le germe avec du C14 et du C17. Soudoyé par un chercheur canadien de passage à Dakar pour un congrès médical, il lui révéla tous nos résultats et toutes nos méthodes de recherche. Peu de temps après ce chercheur canadien publiait dans une revue médicale de l’Ordre de Malte un article affirmant qu’il avait réussi à cultiver le bacille de la lèpre sur du C14 et du C17. Lorsque mes collaborateurs découvrirent l’article, ils m’en firent part. Voyant que ce chercheur nous avait volé notre travail, j’ai alerté l’OMS, le président de la République du Sénégal et l’Ambassade de France. On a reconnu que c’était une imposture. Vous voyez jusqu’où ça a été. Il y avait le prix Nobel en jeu. J’avais été proposée, mais les Américains le désiraient. Il m’a fallu trois ans pour découvrir le bacille de la lèpre. Les recherches que je fis par la suite sur les souches de ce bacille pour essayer de trouver les médicaments efficaces dans la lutte contre cette maladie me permirent de constater que certaines plantes anti-lépreuses utilisées par les thérapeutes africains étaient réellement efficaces. Cela était d’une grande importance et m’a ouvert les yeux.
Question : Vous avez donc commencé à vous intéresser aux méthodes employées par les thérapeutes africains?
Pr. Y. Parès : Exactement, cela été le premier pas. Mais je n’osais pas encore me tourner vers eux. En tant qu’occidentale, je les associais à des sorciers, j’avais peur de tuer des gens en employant leurs remèdes. D’un autre côté, je voyais bien que, malgré l’emploi des médicaments chimiques occidentaux, les patients ne guérissaient pas et se retrouvaient dans un état de faiblesse terrible. C’étaient des loques humaines, et partout on les rejetait à cause de leur aspect repoussant. Cela me tourmentait et je me confiais à l’un de mes collaborateurs, le chef jardinier. J’étais alors à la tête du laboratoire et mes recherches intéressaient tous ceux qui m’entouraient, ils venaient souvent me rendre visite dans le labo, pour voir où nous en étions. Cet homme, Yoro Ba, était très intelligent, et il avait un cœur d’or. Toujours le chapelet à la main, c’était un vrai mystique. Je lui demandais s’il connaissait un thérapeute africain qui accepterait de m’enseigner. Je réalisais que je faisais preuve d’une grande insolence en lui demandant cela. Les thérapeutes africains transmettent leur savoir à leur fils ou à leurs disciples, tous africains. Moi, une Européenne, de surcroît médecin, cela paraissait impossible. Vous savez, c’est dur de rentrer dans la médecine africaine. N’entre pas qui veut. Pas un Africain ayant fait des études de médecine occidentale n’a été accepté. D’ailleurs ils n’ont plus l’esprit pour rentrer dans cette médecine. Dieu m’a donné une certaine tournure d’esprit qui m’a permis d’être acceptée par l’un d’eux.
Question : Quelle tournure d’esprit vous a permis d’avoir accès à cette médecine africaine ?
Pr. Y. Parès : Je me sens très liée avec la nature, je sens l’âme des choses, c’est beaucoup dire bien sûr, mais je ne considère pas les plantes comme de la matière première, ce sont pour moi des amies, quelque chose de vivant, que Dieu a créé et dont je me sens proche. Alors vous me direz les médecins africains formés aux universités occidentales pourraient aussi avoir cette tournure d’esprit de par leur origine. Mais ils sont devenus cartésiens, ils veulent imiter les Occidentaux, ils se sentent supérieurs aux thérapeutes qui ne savent pas lire ni écrire. Ils ont été arrachés à leurs racines, ils renient leur race -je suis sévère mais c’est la vérité -. Et puis il faut savoir que ce n’est pas parce qu’on est médecin qu’on peut être thérapeute. Pour être thérapeute, il faut connaître et aimer les plantes, posséder un grand sens des responsabilités et il faut faire preuve d’une initiative thérapeutique permanente. Car les thérapeutes préparent eux-mêmes leurs médicaments, ils les font suivant des recettes codifiées depuis longtemps, il est vrai, mais ils doivent adapter les traitements aux patients. Pour manier les plantes, les assembler, savoir les préparer, il faut un sixième sens. Si on ne l’a pas, on ne peut pas devenir un bon thérapeute. C’est comme si l’on voulait faire de la musique sans avoir l’oreille musicale, on ne ferait pas de progrès. Donc, en médecine traditionnelle africaine comme dans n’importe quelle autre discipline, tout le monde n’est pas au sommet. Il y a la base où l’on trouve des gens honnêtes qui savent un certain nombre de choses et rendent de grands services mais plus vous montez la pyramide, plus les thérapeutes sont savants. Si vous voulez atteindre le sommet- et moi, j’ai travaillé avec ceux qui étaient au sommet-il faut des années, parfois plus de 15 ans d’apprentissage.
Je n’ai pas pu tout apprendre car je n’étais pas toujours disponible, et puis j’ai commencé tard, à plus de cinquante ans. De plus je continuais de travailler à l’université. Mais, en toute modestie, je crois avoir atteint un niveau très honorable. À tel point que les thérapeutes me considèrent comme l’une des leurs. Je n’ai pas la prétention d’avoir la science de Dadi Diallo, d’Abdoulaye Faty, d’Hamadi Sylla, de Ameth Diaw ou de Magueye Ngom, mes cinq collaborateurs, mais quand il s’agit de faire de la recherche thérapeutique pour les maladies graves, je peux me joindre à eux et apporter ma part. Donc j’ai beaucoup appris d’eux.
Question : Comment avez-vous rencontre Dadi Diallo, le thérapeute africain qui vous a transmis son savoir ?
Pr.Y. Parès: Lorsque j’ai dit a Yoro Ba, mon chef jardinier, que j’aimerais rencontrer un thérapeute africain, il se taisait. Vous savez les Peuls sont très secrets. La parole a une grande importance et l’on ne parle pas pour ne rien dire. Ils peuvent êtres très aimables mais ne rien dévoiler de ce qu’ils pensent. Peu de temps après, j’appris qu’il était en train d’enquêter auprès de thérapeutes qu’il connaissait. Au bout de quelques mois de recherches souterraines, il me dit qu’il avait rencontré un thérapeute de son ethnie, de sa famille, qui acceptait de me rencontrer. C’était un homme très âgé (88 ans) et je proposais d’aller le voir dans son village, mais lui fit savoir qu’il voulait me rencontrer à l’université. Yoro Ba est allé le chercher. Je ne savais pas à l’époque que tout était secret entre les thérapeutes et pour lui faire honneur, j’avais fait venir dans mon laboratoire les assistants Peuls du service et ils étaient tous là, assis autour de moi, pas très à leur aise à attendre le vieux maître. Celui-ci entra dans la pièce, il était tout petit, tassé par l’âge, un maintien droit et il avait des yeux qui vous transperçaient, des sourcils broussailleux et un visage d’une grande sévérité. On sentait une autorité, une force qui nous paralysaient. J’étais moi-même bouleversée. On lui avait réservé le meilleur fauteuil. Nous fîmes les salutations d’usage, Yoro Ba lui expliqua ce que je désirais et lui, répondait de temps à autre : « J’ai entendu ». Pas un mot de plus. Et puis quand il a eu assez entendu, il s’est levé et il a dit en Poular : “Je prends congé” et il est sorti. Les assistants, tout penauds, se sont dispersés dans leur labo et moi je me suis assise a mon bureau, interloquée et persuadée que je ne lui avais pas fait bonne impression. Yoro Ba m’a raconté par la suite qu’il avait descendu les étages en sa compagnie et qu’au moment de le quitter, le maître lui avait dit: “J’apprendrais à Madame à soigner la lèpre”.
C’etait en mars 1979. Dadi Diallo, car c’était son nom, rentra dans son petit village. Les semaines passèrent sans aucune nouvelle. Je proposai à Yoro Ba de se rendre chez lui. Yoro Ba prit des cadeaux traditionnels, des noix de cola, du thé, du sucre et il partit dans un village très loin dans la brousse. Il rencontra le thérapeute, mais ce qui s’est dit entre eux, je ne l’ai jamais su. En revenant à Dakar, mon chef jardinier me dit ne ne pas me faire de souci, le maître ne revenait pas sur sa parole. Les semaines passèrent, toujours sans aucune nouvelle, et je renvoyais Yoro Ba dans la brousse qui revint comme la première fois en me disant de garder patience. Un jour je reçus un inconnu du village qui m’amena un petit paquet contenant une écorce, une racine et un papier mal écrit – certainement par un gamin, le maître n’écrivant pas lui même- où je pus lire :‘pour soigner la lèpre’. Je pensais que le vieillard se moquait de nous. Mais 15 jours après, je recevais une autre lettre disant : « Je ne peux pas vous apprendre la médecine de loin, je viens à Dakar ».
Il est donc venu vers nous et, cette fois ci, il était beaucoup plus détendu et moins sévère que la première fois.
Je lui ai loué une maison dans un village tranquille près de la ville. Quelques jours plus tard je le vis arriver au laboratoire, tout seul. Il s’assit et tira de sa poche une bouteille et un verre qu’il remplit d’un liquide qu’il se mit à boire. Puis il remplit à nouveau le verre et me le tendit. C’était un fortifiant qu’il m’avait préparé lui-même car il avait vu l’état dans lequel j’étais. J’étais en effet très fatiguée avec tout le travail que j’avais à l’université et les attaques dont j’étais la cible. J’appris par la suite que pour donner confiance à son malade, le thérapeute commence par boire le médicament qu’il a préparé. Puis il m’a fait porter des racines à faire cuire avec du poulet. En quelques jours j’étais rétablie et l’on a pu alors commencer à aller en brousse.
Question : Comment les thérapeutes africains enseignent-ils leur art ? Comment se fait la transmission du savoir ?
Pr.Y. Parès : L’enseignement se donne toujours sur le terrain, dans la brousse, devant les plantes. Jamais un thérapeute ne prendra une plante isolée, chez lui par exemple, en vous donnant des explications. Non, il vous la montre dans la nature. Une fois qu’on sait la récolter, il vous en donne les premières indications, mais il ne dit pas encore comment on la prépare. En tant qu’élève on écoute et on se tait. On ne prend que ce qu’il dit, sans poser de questions. Quand il juge que vous êtes mûr, il en dit un peu plus. Bien sûr je prenais des notes, et lui se moquait de moi, du besoin que j’avais d’écrire, car son savoir était parlé et il avait lui-même une mémoire prodigieuse.
Les maîtres sont durs, très exigeants. Dadi Diallo m’a emmené dans les endroits les plus chauds, les plus lointains, nous avons travaillé pendant des heures, sans manger et sans boire, sous un soleil terrible. Et puis la brousse est fatigante, elle me saoulait au début. Ce n’est pas comme nos campagnes, nos forêts françaises qui sont apaisantes. Après la récolte, il fallait encore étaler les plantes pour les faire sécher. Ce qui a facilité les choses, c’était que Dadi était très âgé, et même si j’avais déjà plus de 50 ans, il aurait pu être mon père et cela a facilité nos rapports. Car si sa sévérité était grande, il finit par me considérer comme sa fille. Et moi, je le considérais comme un père et j’avais un grand respect pour lui.
Quant il s’agit d’hommes jeunes, destinés à devenir thérapeutes, les maîtres les envoient en pleine nuit dans la brousse pour aller récolter les plantes. C’est dangereux car il y a des serpents, et puis les Africains pensent qu’il y a des esprits dans les arbres. Il leur faut donc vaincre la peur, la faim et la fatigue. Les maîtres les engueulent pour qu’ils apprennent à se maîtriser, à ne pas se mettre en colère eux-mêmes. C’est un enseignement très strict. On demande à un thérapeute une très grande maîtrise de soi-même et un grand sens des responsabilités.
Et puis on lui apprend que faire des médicaments, c’est un acte sacré. On ne peut préparer un remède que si on a l’âme en paix. Si vous êtes en colère ou agité, il faut attendre d’être calme. Il faut savoir manipuler les plantes et les médicaments avec respect et connaître parfaitement les proportions. C’est comme une religion.
Un thérapeute africain ne dit pas : « Je guéris ». Il dit : « Je soigne mais c’est Dieu qui guérit. » Son rôle est d’orienter les forces de guérison.
Les grands thérapeutes sont conscients de leur force, mais ils connaissent leur place : « Nous marchons avec Dieu devant nous et c’est pourquoi nous sommes en paix ».
Et ils ajoutent : « Nous savons ce que nous pouvons faire et ce que nous ne pouvons pas faire. Nous n’attaquons personne et si les docteurs occidentaux sont fâchés c’est qu’ils n’ont pas le cœur en paix ».
Question : Comment est né l’hôpital de Keur Massar?
Pr.Y. Parès : Nous sommes allés ramasser des plantes dans la brousse. J’ai acheté des marmites en émail et Dadi Diallo est venu nous donner les proportions en eau et en plantes. Nous avons couvert les marmites et nous avons attendu 8 jours comme il nous le demandait. Au bout de 8 jours, j’ai soulevé un des couvercles et j’ai poussé un cri d’effroi. C’était un mélange de fruits et d’eau et il était couvert d’une épaisse couche de moisissure. J’ai crié: « Mais nous allons empoisonner les malades ! » Il faut savoir que dans mon labo, tout était stérilisé. Après, j’ai réfléchi bien sûr et je me suis dit que la pénicilline était aussi une moisissure.
Quand le medicament a été mis en bouteille, Dadi m’a envoyée chercher des malades. Je lui ai demandé où je devais les trouver et surtout les loger ? Il m’a fait un geste m’indiquant que ce n’était pas son problème.
J’ai pensé louer une maison. Le président Senghor m’avait donné un peu d’argent pour mes recherches sur la lèpre et j’avais un petit reliquat. Donc avec Yoro Ba, nous avons une maison et nous avons reçu les premiers malades. Dadi a commencé le traitement. Mais les villageois n’ont pas accepté les lépreux chez eux. Ils ont fini par les chasser avec des pierres, et un jour, nous avons dû évacuer la maison en vitesse. Une autre maison a connu le même sort. Nous avons fini par trouver une cabane délabrée en pleine brousse. Et c’est là que nous nous sommes installés. Voilà comment a commencé Keur Massar, en juillet 1980. Nos débuts ont été très difficiles, bien sûr. Il a fallu retaper la maison et puis nos malades étaient insupportables. Les lépreux, c’est dur. Ils n’avaient confiance en personne. C’était la première fois qu’ils voyaient des gens capables de les aimer et ils n’arrivaient pas à y croire. Et puis on avait très peu d’argent. Le ministère de la santé ne nous aidait pas. Il a fallu tenir le coup et l’on a tenu.
Les malades arrivaient toujours plus nombreux et j’ai dû trouver de l’argent. Un ami reporterphotographe nous a conseillé d’aller solliciter ‘Caritas Sénégal’. À la tête de cette organisation il y avait un frère qui venait de recevoir une demande d’Allemagne proposant de subventionner un projet de lèpre au Sénégal. Nous avons fait un rapport et un jour, une dame allemande nous téléphone pour nous dire que notre projet est pris en considération. J’ai cru qu’elle l’avait classé et que jamais nous ne tiendrions le coup jusqu’à ce que l’argent arrive. Mais 8 jours après nous recevions un coup de fil de Caritas Sénégal nous annonçant que notre projet etait accepté. Cela a été le vrai début de Keur Massar.
Nous avons acheté des matelas mousse, des draps de pagne et des couvertures bon marché. Les malades couchaient par terre dans des locaux minables. Nous les avons nourris. Certains nous volaient, du riz par exemple qu’ils revendaient dans leur village…..
Question : Comment se fait le traitement de la lèpre ?
Le premier jour, il faut purger le malade. La purgation doit être très forte pour éliminer un maximum de toxines. C’est le maître qui fait cette purgation qu’il arrête instantanément par un verre d’eau dès qu’il la juge suffisante. Le lendemain il administre les médicaments qu’il m’a fait préparer les jours précédents. Généralement, les malades commencent à se sentir mieux, ‘le corps léger’, comme ils le disent. Par la suite, Dadi Diallo m’a montré la confection d’un médicament qui est une véritable panacée. Il fait bouillir séparément un certain nombre de plantes, certaines 5 minutes, d’autres une heure, d’autres encore plus longtemps. Certaines sont bouillies seules, d’autres ensemble. Une fois qu’on a toutes les décoctions, on prépare les mélanges appropriés, pour traiter en particulier les tuberculoïdes, les lépromateux, etc…..
Cela demande une maîtrise du savoir et une maîtrise de soi même. Dadi Diallo me disait que plus une maladie était grave, moins il fallait se précipiter, et plus il fallait traiter en profondeur.
Les lépreux sont des malades très difficiles. De caractère instable, ils viennent se faire soigner mais dès que leur état s’améliore ou que la folie les prend – car ils souffrent de troubles psychiques -, ils partent souvent. Il a fallu que nous établissions avec nos malades une véritable relation de confiance pour qu’ils restent chez nous. Au début ils venaient puis repartaient et on les laissait partir. Puis comme ils ont vu qu’on était sérieux, qu’on les aimait, ils sont restés jusqu’à guérir. Et pour certains il a fallu 5 ou 6 ans. Nous les avons gardés à l’hôpital le temps nécessaire pour faire toutes les étapes du traitement.
Le traitement de la lèpre, c’est tout un art ! Il ne suffit pas de tuer les microbes. Le malade arrive avec tout un éventail de maux, ulcérations, paralysies, troubles de la sensibilité, troubles oculaires, etc… Il faut aussi faire de la prévention des mutilations, améliorer les lésions osseuses. On met en jeu non seulement des plantes antibiotiques, mais des plantes qui soignent ces différents types de lésion.
Il y a donc un traitement initial, un traitement au long cours qui se fait en plusieurs étapes, un traitement final et enfin un traitement anti-rechute.
Un enfant lépreux peut être guéri rapidement, mais un malade qui a avalé des sulfones pendant 10 ou 15 ans est dans un état de délabrement épouvantable, et avant de le remettre sur pied et de lui donner un visage humain, il faut du temps. Aujourd’hui à Keur Massar, nous soignons plus de 250 personnes.
Question : Comment se fait-il que les thérapeutes africains n’aient pas été à même de soigner les lépreux, comme vous l’avez fait ? Ou qu’on n’en ai jamais entendu parler ?
Pr. Y. Parès : Mais ils l’ont fait et ils continuent à le faire, dans la brousse, loin de tout. D’autre part, pour accueillir des malades à plus grande échelle comme nous le faisons, il faut de l’argent. Non seulement pour soigner mais aussi pour loger et nourrir tout ce monde et scolariser les enfants de lépreux, souvent atteints, eux aussi par la maladie ou très chétifs.
Question : Comment l’Africain moyen considère-t’il l’a médecine traditionnelle ?
Pr. Y. Parès : Il y a encore 85 % des gens qui vont voir des thérapeutes traditionnels, mais on a tendance à l’occulter. On leur a tellement bourré le crâne que ca fait plus chic d’aller à la médecine ‘moderne’ comme ils l’appellent. Mais ils commencent aujourd’hui à s’apercevoir que cette médecine moderne ça ne guérit pas bien et ça vous donne des maux en plus. Mais voilà, avoir recours à la médecine moderne, c’est faire comme les Blancs donc cela signifie une promotion. C’est ce sentiment d’infériorité qu’ont les Africains qu’il faut leur arracher !
Question : Il semble qu’il y ait une antinomie entre médecine moderne et médecine traditionnelle. En fait, vous faites un pont entre ces deux univers puisque vous êtes biologiste et médecin formée aux écoles occidentales et vous avez été initiée à la médecine traditionnelle africaine. Ces deux médecines peuvent elles communiquer, échanger leurs connaissances. Est ce que l’échange est possible ?
Pr. Y. Parès : Je répondrais comme disent les thérapeutes africains : « Que chacun fasse ce qu’il sait faire et respecte l’autre. »
Il est très facile si on a le cœur honnête, de travailler ensemble. Un médecin qui ne peut pas guérir une hépatite ou une tuberculose résistante par ex. peut l’envoyer au thérapeute qui saura le faire. Un thérapeute lui, ne peut pas faire de la chirurgie. Il ne peut soigner un accident de la route ou une fracture très complexe et il enverra un tel cas à l’hôpital. Mais il faut bien réaliser que la médecine africaine est une médecine à part entière. Ce n’est pas du bricolage comme les gens croient. C’est une médecine très efficace. On pense que les thérapeutes devraient être sous la coupe des médecins occidentaux. C’est faux. Toutefois, je ne crois pas que l’on doive aller à la rencontre des médecines traditionnelles pour les promouvoir. Les thérapeutes en sont capables eux-mêmes, ils commencent à oser s’affirmer. La première chose à faire est d’apprendre à se connaître et s’estimer, à s’accepter en respectant le savoir des uns et des autres. Dans chaque pays, il y a des hommes et des femmes de grande intelligence. Certains, quelque soit leur race, ont le don pour l’art médical et ils ont créé une médecine adaptée à leur environnement, à leur croyance, à leur culture, à leur spiritualité. Chaque pays crée sa propre médecine et ces médecines ont toutes leur efficacité et leurs lacunes évidemment. Mais toutes ces médecines sont belles et doivent être respectées. Une fois admis cela, chacun apporte ce qu’il sait faire et il peut y avoir un échange.
Aujourd’hui, nos médecins occidentaux devraient reconsidérer notre ancienne médecine du XIIe siècle, voir les richesses qu’elle possédait, au lieu d’envoyer des ethnologues et des anthropologues embêter les thérapeutes traditionnels car c’est souvent de l’indiscrétion que d’aller courir après des gens comme cela. Nous devrions plutôt rechercher ce qui faisait la richesse de notre ancienne médecine.
Avec une poignée de thérapeutes français, nous avons le projet de former un groupe de travail dont le but serait de considérer les plantes d’Europe sous une optique semblable à celle des thérapeutes africains. Car je suis persuadée qu’on peut, à l’instar des plantes africaines, soigner les maladies graves avec nos plantes européennes.
On associe souvent la médecine africaine à de la sorcellerie avec des gris-gris, des danses extravagantes et des transes. Ces méthodes de guérison existent, il est vrai, pour soigner les maladies mentales des Africains et elles sont efficaces sur eux, mais elles ne le seraient pas sur nous car notre système de croyance est différent. Mais ce que l’on sait moins, c’est que la médecine africaine possède un trésor thérapeutique immense et méconnu. Car tous les Européens qui ont écrit un livre sur cette médecine n’ont fait qu’effleurer le sujet et l’on reste souvent sur une idée de folklore.
Les thérapeutes africains ne sont pas des sorciers !
Bien sûr qu’il existe aussi des sorciers en Afrique, qui font le mal, mais ils n’ont rien à voir avec les véritables médecins dont je parle.
Question : Vous venez de terminer un livre sur votre expérience en Afrique, à l’hôpital de Keur Massar et sur l’enseignement transmis par Dadi Diallo. Mais la médecine traditionnelle africaine n’est elle pas secrète ?
Pr. Y. Parès : Le savoir, il faut des années pour l’apprendre. Donc ce n’est pas parce qu’on possède quelques recettes de complexes de plantes qu’on devient un bon médecin. En Europe, pour devenir médecin, on passe une thèse et on prête serment, le serment d’Hippocrate. On rentre dans un groupe. En Afrique, on a une chose semblable : lorsque le disciple a terminé sa formation, le maître organise une grande cérémonie au cours de laquelle il lui donne sa bénédiction, il lui passe un collier autour du cou et lui dit : « Maintenant tu peux rentrer chez toi ». ce qui veut dire : Tu es prêt, maintenant commence ta fonction de thérapeute. On sait donc qu’il a été investi. Mais si vous donnez votre savoir sur la place publique, vous avez tous les petits rusés qui cueillent quelques herbes et s’affirment guérisseurs. C’est pourquoi le secret est exigé pour que le vrai savoir ne soit pas perdu, ni profané.
Question : N’y a t’il qu’un savoir, ou aussi toute une vision de la personne ?
Pr. Y. Parès : En Afrique, la vision de la personne est très différente de celle de notre monde occidental. Les Africains sont des gens très croyants et très portés sur le monde invisible. Les ancêtres sont très présents. On a dit qu’ils etaient païens ! Mais regardez leur religion : ils avaient la plupart du temps un Dieu unique et des divinités annexes qui correspondent à nos anges. Ou bien ils avaient des djinns, comme nous avons nos démons ou nos mauvais esprits. Dieu a donné à tous les hommes une notion de la divinité. Les Africains disent la même chose que nous avec des mots différents. Nous sommes surpris des croyances africaines, mais ils sont aussi surpris par nos croyances. On se moque des plumes des Indiens d’Amérique du Nord ou des colliers de cauris africain. Mais si nous regardions comment sont habillés nos évêques, nos magistrats ou nos militaires ou nos professeurs d’Oxford !
Et les thérapeutes africains tiennent compte de cette vision lorsqu’ils soignent leurs malades.
Question : Vous avez dit que vous désiriez commencer un groupe de travail avec des thérapeutes français. Pour quelle raison ?
Pr. Y. Parès : Pour combler une lacune. En Europe, voyez vous, nous n’avons plus de maître qui aille dans la nature, récolter les plantes, les sécher, préparer des médicaments, recevoir les malades et donner les remèdes appropriés, personnalisés. De maître qui ait gardé ce contact avec la nature, les énergies de la forêt, avec le cosmos.
Etre phytothérapeute, c’est incomplet. Puisqu’il n’y a plus de maître et que j’ai eu de la chance d’avoir des maîtres remarquables, ce qu’ils m’ont enseigné, je voudrais le transposer sur les plantes d’Europe et montrer comment on peut procéder.
Il faut aller dans la nature, retrouver le calme, la paix, l’amour des plantes, les manipuler avec respect, apprendre à faire soi même des médicaments simples, les médicaments de base et puis ceux qu’on prépare directement pour chaque malade. C’est toute une philosophie, une autre façon de vivre la médecine que je désire transmettre .
Vous voyez, je ne crois pas qu’on puisse exercer la médecine traditionnelle dans les locaux utilisés par la médecine moderne. Nous ne pouvons recevoir des malades dans un cabinet médical luxueux et stressant ou laid. Nos bâtiments de Keur Massar sont modestes, mais nous sommes en pleine nature, il y a des oiseaux, des fleurs. On ne peut pas par exemple soigner des malades angoissés dans d’immenses hôpitaux.
Pour être thérapeute, il faut aimer le silence, il faut chercher la paix, l’harmonie en soi, et aimer les gens ce qui n’est pas facile. Il faut aussi de la patience et du temps et une structure appropriée pour recevoir les malades.
En fait il faudrait revoir toute la médecine. Nos hôpitaux sont de véritables usines remplies d’appareils qui font peur, où l’on ne sépare pas les maladies infectieuses des autres d’où le grand nombre de maladies nosocomiales (800 000 par an), où les maladies conséquentes à l’emploi de médicaments remplissent le tiers des lits- un tiers des maladies sont iatrogènes-. 0n se moque des Africains parce qu’ils n’auraient pas d’hygiène et prennent l’eau du puits pour se laver. Nous, on attrape la légionellose dans les douches de nos hôpitaux. Nous devons réfléchir, devenir raisonnables et retrouver le bon sens.
Question : Soignez vous le Sida à Keur Massar?
Pr. Y. Parès : Nous soignons des cas de Sida depuis 1988. Si le gouvernement du Sénégal et les médecins sénégalais avaient fait leur travail, on aurait mis en place une organisation pour soigner les sidéens. Nous ne sommes pas les seuls au Sénégal a soigner les sidéens. Il y a plusieurs autres thérapeutes cachés dans la brousse qui ne font pas de bruit. Mais certains médecins étouffent tout, préférant laisser mourir les gens que de faire appel à ceux qui soignent vraiment.
Question : Comment expliquer vous cela ?
Pr. Y. Parès : Les équipes américaines arrivent avec beaucoup d’argent qu’ils donnent aux médecins. La Banque Mondiale a aussi versé de grandes sommes d’argent pour la prévention et, là aussi, une partie de cet argent atterrit dans les proches de quelques-uns. De plus, les autorités ont tendance à cacher leurs sidéens pour qu’on puisse dire que le Sénégal a fait une politique de prévention très active. …
Question : Actuellement des gens se battent dans le monde pour que les trithérapies arrivent en Afrique…
Pr. Y. Parès : Franchement, la trithérapie n’a jamais guéri personne, elle ne fait que prolonger la vie lorsqu’elle ne tue pas par des accidents cardiaques.
On ne soigne pas avec des poisons !
Dans notre médecine occidentale, on trouve normal, nous médecins hippocratiques, que les médicaments que l’on prescrit provoquent des effets secondaires terribles. Hippocrate a bien prescrit avant tout de ne pas nuire ! Sur un organisme faible, vous allez provoquer des désastres supplémentaires.
Nous soignons des sidéens depuis 88. Beaucoup retrouvent leur tonus et se sentent guéris. La plupart sont encore porteurs du virus, mais certains deviennent négativés, on en a eu la preuve à la suite d’examens obligatoires pour leur profession.
Si on veut soigner avec des plantes les malades du Sida, il faut beaucoup de savoir, de patience et des structures spécialisées pour les accueillir et il faut que dans l’opinion, on sache que les plantes peuvent secourir les Sidéens. Si on ne leur dit pas cela, ils ne viendront pas et choisiront plutôt la trithérapie.
Question : Je sais que vous avez des difficultés pour faire passer votre message….
Massar et les résultats de nos traitements. Nous avons soigné à Keur Massar des myasthénies et des scléroses en plaque, on a amélioré un spina-bifida, on a fait régresser des paralysies. Je parle aussi de nos traitements anti-sidéens et pour les malades mentaux.
Question : Quelles est les voies porteuses d’espoir pour la reconnaissance des médecines traditionnelles ?
Pr. Y. Parès : Je pense que les rencontres comme celles de la Fondation Denis Guichard servent à former un noyau de personnes qui ont de bonnes idées et peuvent les répandre. Je pense toutefois que de rencontrer des thérapeutes d’autres cultures et d’autres langues reste difficile. Ils ne parlent pas notre langue ou ont vécu dans des villages isolés et au milieu de nous, ils perdent leurs moyens comme nous, nous perdons les nôtres au milieu d’eux. Ainsi, lorsque des Africains ou des Amérindiens viennent faire leur cérémonie au milieu de nous, avec leur musique et leurs rituels, j’ai parfois le sentiment d’un sacrilège, comme si la chose était galvaudée. Il est important que ces cérémonies aient lieu dans un cercle restreint, face à un public réceptif. Je me rappelle d’un médecin béninois qui avait invité des Amérindiens lors d’un. Congrès du Sida. Ces Amérindiens s’etaient mis a joué de la flûte. C’était très beau, mais les gens continuaient de parler sans leur prêter attention et j’avais mal au cœur pour ces peuples qui apportaient leur âme et n’étaient pas écoutés.
L’important c’est de parler, de s’exprimer sur ce que l’on connaît bien pour supprimer les idées fausses et préconçues.
Question : Comment aimeriez-vous qu’évolue la médecine moderne actuelle ?
Pr. Y. Parès : La médecine occidentale actuelle me met mal à l’aise. J’ai fait cette médecine africaine dans la paix de la brousse, dans la prière, dans le calme, dans l’amour du prochain, dans l’écoute, dans une immense responsabilité et en même temps une immense initiative thérapeutique, donc je suis complètement sortie de ma formation universitaire. Les deux mondes sont tous à fait différents.
Naturellement la médecine moderne sauve des gens. On ne peut le nier.
Je crois pourtant qu’il faudrait revenir à la simplicité et au bon sens. Pour soigner une angine on n’a pas besoin de faire des examens de laboratoire, il y a des remèdes simples : le jus de citron, le vinaigre rosat, des huiles essentielles, des inhalations de thym, de laurier, de camomille. Donc simplicité et bon sens. Je me demande comment des professeurs de grands hôpitaux peuvent continuer à prescrire des molécules chimiques alors qu’ils savent qu’un tiers de leurs lits sont occupés par des maladies iatrogènes. Comment des gens très intelligents peuvent accepter que leur initiative thérapeutique soit confisquée par des chimistes qui ne cherchent qu’à gagner de l’argent. C’est frustrant pour un médecin. Vous avez des délégués qui viennent vous vanter n’importe quelle poudre de perlimpinpin qui provoque de nombreux accidents secondaires. Comment des gens intelligents se sont-ils laissé manipuler a ce point ? Évidemment exercer à l’occidentale est plus facile. Vous faites une ordonnance, votre patient se rend à la pharmacie, mais même les pharmaciens ne savent plus préparer leurs propres médicaments.
Bien sûr, je sais que la population a augmenté dans les villes. C’est compliqué de prescrire des décoctions et autres préparations. Mais en Afrique, les malades sont plus simples. Si vous ne faites pas les décoctions vous mêmes, vous leur donnez la poudre et leur dites comment faire et ils le font. En Europe, on a l’habitude du confort, on est devenu paresseux, il nous faut une pilule qui nous guérisse en 5 minutes . La famille ne serait sans doute pas toujours prête à préparer des décoctions pour le malade. Il faut faire un effort pour se soigner avec les herbes, la santé ça se conquiert. Et puis les patients, fragiles sont infantilisés, se laissent souvent guider par des ‘gourous’ et l’on a tellement dit à la masse des gens pas très instruits que la médecine etait merveilleuse, que les progrès etaient formidables, que la thérapie génique allait tout guérir qu’ils finissent par y croire Alors qu’on ne sait même plus traiter les angines avec des moyens simples…
Question: Vous avez dit que la médecine africaine se suffirait à elle meme, mais elle doit avancer avec une recherche constante pour soigner les nouvelles maladies
Pr. Y. Parès : Bien sûr les grands thérapeutes sont en recherche constante. Mais je ne suis pas pour la fondation d’ une Université de médecine Traditionnelle Africaine, car celui qui veut apprendre la médecine africaine doit avoir le courage physique de sortir dans la brousse et de toucher les plantes, la terre…
Vous savez, je n’ai pas eu un parcours facile, je me suis fait des ennemis aussi bien dans le milieu médical européen car les médecins européens étaient furieux que je valorise la médecine africaine, mais aussi chez les médecins africains formés aux universités occidentales et jaloux des secrets de l’Afrique qui m’avaient été confiés.
Mais je sens aujourd’hui que j’ai une dette morale envers cette médecine traditionnelle africaine et ses thérapeutes. Je dois en être le chantre.
En résumé, je voudrais que l’on sache que la médecine africaine est une médecine à part entière qui n’a rien à voir avec le folklore et les gris-gris avec lesquels on l’assimile souvent. Elle a montré toute son efficacité dans les maladies les plus graves ; la thérapeutique fine et élaborée a des résultats certains quant elle est menée avec sagesse et les grands maîtres sont brillants par leur intelligence.
Tresor des plantes medicinales paru aux editions du Dauphin est d’abord un hommage au Pr. Yvette Pares que j’ai eu l’honneur de rencontrer en 2005 lors d’un congres organise par la fondation Denis Guichard, puis au fil des ateliers qu’elle a organises pour transmettre son immense savoir sur les plantes a quelques therapeutes enthousiastes.