Entretien avec Walfadjri
Entretien avec le docteur Yvette Parès – 18/06/2003
Le malade du sida qui arrive à Keur Massar avec de nombreuses maladies opportunistes, prêt à rendre l’âme, n’en guérira pas. Le Dr Yvette Parès est formelle : la médecine traditionnelle ne permet d’arrêter la maladie et la faire reculer que si le malade arrive assez tôt à son hôpital de la banlieue dakaroise. Mais, prévient-elle dans l’entretien qu’elle nous a accordé, la maladie étant due à un rétrovirus qui peut se cacher longtemps, il faut poursuivre le traitement pendant plusieurs années.
Wal Fadjri : Pourquoi avez-vous ouvert l’hôpital de Keur Massar ?
Dr Yvette Parès : Pour deux raisons. La première est une raison scientifique. J’étais professeur à l’université de Dakar, mais aussi directrice du Centre de recherches biologiques sur la lèpre. Deux de mes travaux ont abouti à la culture du bacille de Hansen, un germe très récalcitrant qui avait résisté à tous les essais de culture de nos devanciers depuis cent ans. Nous avons eu la grande chance d’y arriver. Une fois la culture obtenue, il devenait possible d’effectuer des antibiogrammes et de rechercher ainsi la valeur des plantes anti-lépreuses des pharmacopées africaines. Les résultats de ces antibiogrammes ont montré que les plantes réputées majeures étaient bonnes pour combattre le bacille de la lèpre.
L’autre raison est éthique. Lorsqu’on était constamment en contact avec les malades lépreux pendant des années, on pouvait constater que, malgré la chimiothérapie, les sulfanes, les sulfamides-retard prescrits et reçus pendant de nombreuses années, les malades, au lieu de s’améliorer, étaient toujours en état plus lamentable.
J’ai constaté qu’ils portaient des ulcérations. C’étaient des paralysés, ils avaient des maux perforants plantaires, des ophtalmies… Bref, un grand nombre d’infirmités qui leur rendaient la vie très pénible. Ils souffraient de toutes sortes de douleurs, en particulier les névrites. Et un jour, j’ai pensé qu’on ne pouvait pas les laisser dans cet état, qu’il fallait essayer de faire quelque chose. Ce qui n’était pas facile. En réfléchissant, j’ai pensé aux thérapeutes africains qui sont réputés dans le traitement de la lèpre. Mais il y avait un obstacle : la médecine africaine appartient à l’Afrique et est transmise de père en fils ou d’oncle à neveu, ou bien d’un maître à un étranger qui en fait la demande et qui est digne d’être enseigné. Mais toujours entre Africains. Or, j’étais européenne, en plus docteur en médecine moderne. Ce qui n’arrangeait pas les choses. Mais, dans mon service à l’université, il y avait un homme de grande valeur morale : Yéro Bâ, le père de Djibril Bâ
(ce dernier nous a servi de guide lors de notre visite à l’hôpital de Keur Massar, Ndlr). Je m’en suis ouverte à lui, en lui faisant part de mon souhait de rencontrer des thérapeutes. Il n’a pas répondu tout de suite. Mais sans faire de bruit, comme tous les Peuls qui sont très discrets, il a fait des démarches. Et quelques semaines plus tard, il m’annonce qu’un thérapeute très âgé, Dady Diallo, qui avait 88 ans, acceptait de me rencontrer. Pas encore de m’enseigner, mais de me rencontrer. Quand le maître est venu à l’université, en mars 1979, notre entrevue a été assez éprouvante. Il était très intimidant. Avec des yeux qui vous transperçaient au point qu’on se demandait s’il ne lisait pas jusqu’au fond de votre âme. Finalement, il m’a accordé sa confiance. Mais c’est neuf mois plus tard (en fin décembre) qu’il est revenu pour dire qu’il allait m’enseigner. Mais que ce n’était pas un enseignement de bureau. Trois jours plus tard, à 5 h du matin, nous sommes allés en brousse pour commencer la récolte des plantes anti-lépreuses. Les premières qu’il allait me montrer. Quand nous sommes partis, il faisait encore nuit. Et nous avons travaillé jusqu’à 14 h sans manger ni boire, sans parler. Oui, les taalibe suivent une discipline rigoureuse. Et, quand bien même j’étais à l’époque professeur à l’université, docteur ès sciences, docteur en médecine, je n’étais à ses yeux qu’un taalibe. Je n’avais qu’à suivre la discipline ou alors me retirer. C’était l’un ou l’autre. J’avais confiance en Dady Diallo. Nous sommes sortis très souvent en brousse et avons récolté beaucoup de plantes que nous avions fait sécher. Un jour, il m’a dit que nous allions préparer les premiers médicaments du traitement de la lèpre. Il y avait des médicaments, pas compliqués à faire, mais nombreux. C’étaient des traitements du début de la lèpre. Parce que ce n’est pas comme en médecine occidentale où l’on donne les sulfanes, les sulfamides retard et puis c’est fini. Non, il y a d’abord le traitement préparatoire, ensuite deux traitements qui redonnent du tonus, un peu de forces. Puis, il y a le traitement de fond qui se réalise en plusieurs étapes. On change les associations de plantes à peu près tous les six mois. Et il y a le traitement final et le traitement anti-rechute. Ce traitement comporte les plantes antibactériennes, anti-microbactériennes, mais également, on associe des plantes pour les différentes lésions. Des plantes qui empêchent les paresthésies, les sensations de brûlure, d’autres qui préviennent les mutilations, et d’autres encore qui améliorent les lésions osseuses, nerveuses, etc.
En plus, les traitements externes contre les ulcérations, les œdèmes, les maux perforants plantaires. Donc, rien que le traitement de la lèpre exigeait un temps très long pour, non pas le maîtriser (parce qu’il est très compliqué) mais déjà pour savoir bien le manier, et rendre de grands services aux malades. La médecine africaine, je l’abordais donc par l’une des maladies les plus graves, les plus difficiles à traiter. Et j’ai découvert une thérapeutique qui m’a émerveillée. Jamais je n’avais imaginé que le traitement de la lèpre en médecine africaine puisse être aussi élaborée, aussi complexe et aussi efficace. Parce qu’il faut dire que nos patients, après avoir été traités pendant un temps suffisamment long (nous avions des malades très avancés dans leur maladie) avaient fini par reprendre un visage humain, une allure humaine et beaucoup d’entre eux ne présentent plus de séquelles. Ils ont pu, pour certains, exercer des professions très valorisantes. Les autres ont retrouvé leur métier de cultivateurs, de pêcheurs, d’artistes, de faiseurs de pots de fleurs ou tous les petits métiers qui peuvent être exercés. Alors que normalement, ils étaient devenus des loques humaines. Mais après le traitement, ils ne sont plus rejetés par la société. Ils étaient redevenus très convenables d’aspect. Avec un beau boubou, on ne saura pas qu’ils avaient eu une maladie.
Nous avons aussi soigné des enfants. La lèpre débutante chez les enfants se soigne quand même beaucoup plus vite que celle avancée pour les adultes. Il y a des traitements particuliers pour les enfants. Autre chose de capital : pour les enfants nés de parents lépreux, qui sont déjà contaminés dès la naissance, il y a des traitements préventifs. Ainsi, ceux qui sont faibles et qui développeraient la maladie ne le feront pas, et pour ceux qui ne l’avaient pas développée, parce qu’ayant un caractère plus fort, un terrain meilleur, le traitement protecteur est tonique et vermifuge en même temps. Donc, ils n’ont que bénéfice à le prendre. Pour la lèpre, nous avons soigné et guéri, je ne sais combien de centaines de maux perforants plantaires, cette infirmité très handicapante. Ce que la médecine moderne ne sait pas faire.
Wal Fadjri : Quand avez-vous évolué de la lèpre aux autres maladies dans le traitement par les plantes ?
Dr Yvette Parès : De 1980 à 1984, nous n’avons fait que la lèpre. Mais il y avait des malades des environs qui venaient nous demander de soigner toutes les maladies. A leur arrivée, il n’y avait pas de structures pour les accueillir. Il fallait s’abriter dans la nature. Ce qui n’était pas une solution. Il y avait beaucoup de demandes, et avec l’aide d’une œuvre charitable, on a pu ouvrir une case de consultations externes d’abord, puis une salle d’accueil, une petite pharmacie et une salle d’attente. On a commencé, en 1984, à traiter toutes les maladies qui se présentaient. En 1985, il y a eu ici une journée médicale (il y avait, tous les deux ans, les Journées médicales de Dakar) et nos adversaires avaient choisi comme sujet la lèpre. C’était tout à fait extravagant, extraordinaire. Mais c’était avec un but bien défini : on devait condamner notre travail. Mais il y a eu, grâce aux journalistes, un renversement de situation. Et au lieu de venir fermer notre hôpital comme c’était l’enjeu, il y a eu un scandale provoqué par les journalistes, comme l’a dit le ministre. Toutes les chaînes de radio, de télévision qui étaient présentes au congrès sont venues ici. J’étais morte de peur quand je les ai vu arriver. Mais cela a fait un tel bruit au Sénégal que, quelques jours après, on a eu une arrivée de malades tellement grande que, du matin au soir, on n’arrêtait pas. Les thérapeutes n’avaient même pas le temps de prendre le moindre repos. Et nos réserves de plantes qui étaient grandes, avaient fini par s’épuiser. Finalement, on s’est organisé.
Entre-temps, Abdoulaye Faty était arrivé. Puis Maguèye Ngom. Ensuite, en 1985, c’était Ahmet Diaw. En 1986, Amady Sylla a complété notre groupe. Tous de très grands savants. On n’aurait pas pu faire un hôpital de médecine traditionnelle avec des thérapeutes de niveau moyen. Il nous fallait vraiment de grands maîtres pour pouvoir démarrer et prouver que la médecine africaine était une médecine à part entière qui pouvait soigner les maladies les plus graves, y compris celles où la médecine moderne n’apportait pas de solutions. En particulier, les hépatites, la drépanocytose qui est très répandue et d’autres.
Wal Fadjri : Qu’est-ce qui a motivé cette adversité ?
Dr Yvette Parès : C’étaient des années très dures. On peut comprendre que notre initiative était trop en avance sur les mentalités de l’époque où l’on avait inculqué à tout le monde, en Afrique comme en Europe, qu’il n’y avait qu’une seule médecine valable, celle moderne. Qu’elle était capable de tout faire, qu’elle était la meilleure, la championne. Je dois avouer que je l’ai cru moi-même, quand j’étais jeune médecin, alors que nous ne pensions qu’à sauver les malades. Mais d’un côté, les uns (les Européens) ont dû penser que nous allions défaire l’œuvre de la colonisation, et de l’autre côté, les Africains croyaient que nous allions les faire retourner à un état de « non-civilisation », de « sauvagerie ». Alors qu’en réalité, on montrait seulement qu’il y avait, dans l’intérêt des malades, la nécessité de s’orienter vers les savoirs qui apporteront des solutions. Nous n’étions contre personne. Nous n’avions avec Yéro Bâ et les thérapeutes, qu’une seule envie : sauver les malades par les meilleurs moyens possibles. Si la médecine pouvait le faire, qu’elle le fasse. Mais comme elle ne pouvait pas le faire, il fallait demander le renfort d’un autre savoir. C’était aussi simple que ça.
Wal Fadjri : Ne menaciez-vous pas, à un certain moment, les intérêts des médecins et pharmaciens modernes ?
Dr Yvette Parès : Nous, les médecins modernes – je me mets dedans parce que je l’ai été pendant un moment – nous pensions que nous étions les plus grands, les plus beaux, les plus forts. Et pour les médecins africains, acquérir le savoir des Occidentaux était une telle promotion que cela les rendait peut-être un peu vaniteux. Et ils ne voulaient pas perdre leur pouvoir. Et puis, ils étaient peut-être persuadés que c’était retourner en arrière que d’aller vers le savoir de personnes qui, dit-on, étaient analphabètes et illettrées. Mais j’ai dit et répété bien souvent : on peut ne pas avoir appris à lire et à écrire, mais être un très grand savant et un très grand sage. Alors qu’on peut être bardé de diplômes universitaires et n’être qu’un personnage médiocre. Il y avait aussi une concurrence qui jouait. Ils ne voulaient pas que d’autres aient autant de pouvoirs thérapeutiques. Et puis, il y avait l’orgueil des anciens maîtres du pays. Tout ça, c’est le passé. Il vaut mieux tourner la page et essayer maintenant de regarder l’avenir. L’avenir, ce serait que les deux métiers collaborent. On m’a demandé où était l’obstacle, j’ai dit que d’obstacle, normalement, il ne devrait pas y en avoir. Parce que, si des deux côtés, on se regarde avec respect, amicalement, cordialement, je ne vois pas où est le problème. Il n’y a pas de problème à échanger les savoirs. Que chacun soit raisonnable. Les thérapeutes, eux, sont raisonnables. Ils ne disent jamais de mal de la médecine moderne. Ils disent simplement à chacun de faire ce qu’il connaît et travaille en paix. Tandis que de l’autre côté, il y a constamment des attaques contre « ces illettrés, ces analphabètes, ces gens qui ne savent rien… ». Alors qu’en réalité, ce sont les savants d’Afrique.
Wal Fadjri : Des maladies contemporaines comme les Mst et le sida, êtes-vous parvenus à vaincre cette dernière pandémie ?
Dr Yvette Parès : Lorsqu’on traite un malade atteint du virus du sida, il faut qu’il soit à un stade encore réversible. S’il arrive avec de nombreuses maladies opportunistes, prêt à rendre l’âme, nous ne pouvons que le soulager. Mais s’il vient assez tôt, des traitements peuvent arrêter la maladie et la faire reculer, jusqu’à ce qu’il retrouve un état de bien-être et se sente « guéri ». Mais la maladie étant due à un rétrovirus qui peut se cacher longtemps, il faut poursuivre le traitement pendant plusieurs années. On ne dira que le malade est vraiment guérissable que, d’une part, s’il redevient séronégatif – et c’est déjà arrivé – et si, d’autre part, il est toujours en vie et en forme au bout de vingt ou quarante ans. Il nous faut le recul du temps pour affirmer qu’il y a une guérison sûre. Mais, a priori, pourquoi cette maladie ne guérirait-elle pas ? On nous a mis dans la tête qu’elle est inguérissable, que tous les malades vont aller vers des maladies opportunistes. Je dis non. Si on traite le malade suffisamment tôt, il n’aura pas de maladies opportunistes. La maladie sera stoppée et il retrouvera un état de grand bien-être. De l’extérieur, on vous chante des chansons qui vous troublent l’esprit. Que la maladie est inguérissable, qu’il n’y avait que l’Azt. C’est un grand mensonge. L’Azt est très toxique et n’a guéri personne. Au contraire, il donne des accidents secondaires. Maintenant, on nous chante la trithérapie. Où en sommes-nous avec elle ? Mais elle n’a jamais guéri personne. Il faut mettre tout ça dans la tête de tout le monde. A Paris, on meurt du sida. Pourtant, dans les hôpitaux parisiens, il y a de la trithérapie. Elle est très coûteuse, très pénible à prendre et donne des accidents secondaires graves. Dans certains cas, elle peut prolonger un peu une vie déjà misérable. Mais dans d’autres, cette vie est courte. Par des accidents cardiaques ou des dépressions suicidaires. Chez certains malades, elle provoque un trouble dans le métabolisme de l’épiderme. Le malade grossit de certaines parties du corps ; il devient difforme ; il ne se trouve pas beau et arrête le traitement. Là, il va y avoir la mort automatique. Le virus va muter, donc la trithérapie n’agira plus.
Les grandes avancées thérapeutiques, où sont-elles ? Où sont les malades guéris ? Où sont ceux qui vont mieux ? Regardez les malades sous trithérapie à la télévision. Ils ont tous le visage très triste, des airs vraiment fatigués. Alors, pourquoi dire des mensonges ? On a comme perdu le sens critique, à force d’entendre dire l’Oms par-ci, l’Oms par-là. L’Oms a un rôle à jouer, un rôle de sentinelle, pour dire qu’il y a le danger ici et là. Mais elle n’a pas le droit de dire qu’il n’y a pas de traitement. Il n’y a pas de traitement dans la médecine qu’elle gère, celle moderne. Mais il peut y avoir des traitements ailleurs. Et il y a des traitements en Afrique, en Asie. Peut-être en Amérique latine, avec les thérapeutes indiens et autres. Je n’en sais rien, là je n’affirme pas.
Wal Fadjri : Malgré vos résultats positifs, vous dites être combattus par les pouvoirs publics et les médecins. Mais les malades qui sont libres d’aller se soigner là où ils veulent, pourquoi ne viennent-ils pas ?
Dr Yvette Parès : Les malades, à force de s’entendre répéter que la maladie est inguérissable, ne croient plus à rien. On les a déjà tués rien que par ces paroles. Quand on dit à un malade « tu vas mourir, il n’y a rien à faire », il est déjà mort. Il n’a plus aucune force pour se mobiliser et essayer de s’en sortir. Il est déjà condamné. Ensuite, on a tellement dit que la médecine moderne était la seule valable qu’ils croient que si elle n’a rien, personne n’a rien. Aussi le malade a-t-il honte de son état et se cache. Il a peur qu’on le voit trop souvent venir un peu ici ou là. Il y a tout un conditionnement mental qui vient des affirmations de l’Oms, de celles de médecins. Des malades du sida, il y en a qui sont venus. Ceux qui ont de fortes personnalités, qui ont réussi à surmonter tous ces handicaps.
Wal Fadjri : Vous avez démarré sans moyens. Maintenant, où en êtes-vous en termes de moyens ?
Dr Yvette Parès : Nous avons eu la chance d’avoir des œuvres caritatives qui nous ont aidés, malgré les attaques et les rapports qui leur disaient de ne pas nous aider. Ça a été très dur. Mais maintenant, nous en avons assez de toujours tendre la main, et nous voudrions arriver à subvenir à nos besoins. Et puis, si nous devons participer à de grandes luttes contre le sida, le paludisme résistant, le diabète, les hépatites, il faut une aide officielle. Il faut une organisation officielle, des projets de conventions de partenariat. Nous n’allons pas prendre sur nos épaules, qui ne sont pas grandes, la santé de tout un pays. Il faut qu’il y ait, le plus vite possible, une collaboration amicale, cordiale.
Wal Fadjri : Vous disiez que les virus du paludisme, du sida… mutent et s’adaptent à certains médicaments, surtout s’ils sont mal ou pas traités. Etes-vous parvenus à prévenir cela à chaque fois ?
Dr Yvette Parès : Nos médicaments, ce ne sont pas des molécules chimiques isolées. Il y a de très nombreux principes antiviraux dans nos préparations, puisqu’il y a de nombreuses plantes antivirales. Si certains virus qui mutent échappent à tel traitement, ils vont être attaqués par d’autres principes qui sont dans les végétaux. Il y a un tel cocktail qu’on ne les rate pas. On n’utilise pas un seul type de balle, mais une mitraille venant de tous les côtés. C’est une comparaison que tout le monde peut comprendre. Ce serait donc étrange qu’on en échappe. Comme on peut changer les plantes, on n’est pas obligé de mettre toujours les mêmes préparations. Si, pour le paludisme, on est arrivé à des catastrophes, c’est parce que la médecine officielle avait opté pour la chimiothérapie (nivaquine, flavoquine, chloroquine…). On a mis un seul type de molécule contre les hématozoaires et certains ont échappé et sont devenus résistants. La chimiothérapie est devenue impuissante. La faute à qui ? A cette institution internationale qui a imposé les mêmes traitements dans le monde entier, si bien que le paludisme résistant est partout. Il va tuer beaucoup de monde. Il faut donc appeler les médecines traditionnelles africaines, asiatiques et autres dans les combats pour la santé. Elles ont un rôle éminent à jouer.
Wal Fadjri : Pensez-vous déjà faire quelque chose pour le traitement de la pneumonie atypique ?
Dr Yvette Parès : On va essayer de faire quelque chose comme on a fait pour le sida. Pour le sida, on n’avait rien. Mais on a essayé de se remuer et d’inventer, de mettre au point des formules.
Par : Propos recueillis par Demba Silèye DIA
Drépanocytoses, épilepsies, paralysies, diabète… Plusieurs centaines de maladies traitées – 20/06/2003
En plus de la lèpre qui aura fait sa réputation, on traite et guérit aussi, à l’hôpital traditionnel de Keur Masser, des drépanocytoses, des épilepsies, des paralysies, du diabète, de la stérilité… A l’hôpital traditionnel de Keur Massar, l’on soigne et guérit presque toutes les maladies. Même celles pour lesquelles la médecine moderne n’a que des calmants. A la section « Consultations externes », un tableau répertorie plusieurs centaines de maladies traitées et guéries dans ce centre, comme les drépanocytoses, les épilepsies, les paralysies, le diabète, la stérilité… Dans une des cases, Jean-Michel Bouré Diouf, qui travaille ici depuis 1982, enregistre les consultés. En face de lui, est accroché un diplôme. C’est le prix de la Fondation de France et de la Fondation Denis Guichard, remis le 12 décembre 2002 à l’initiatrice du centre, le professeur Yvette Parès (une dame qui frôle allègrement les 80 ans). Sur ce parchemin, sont inscrits ces mots : « Depuis 1980, la Fondation Denis Guichard (…) prime chaque année une personne pour son action en faveur de la défense de la nature, de la santé et de la vie. Cette année (2002, Ndlr) le prix de la Fondation Denis Guichard est remis au professeur Yvette Parès, docteur ès sciences, docteur en médecine, professeur à l’université de Dakar, directrice du Centre de recherches biologiques sur la lèpre, par son œuvre en faveur des médecines traditionnelles afin que soit reconnue la place qui est la leur dans le combat pour la santé. » A côté, on remarque la case de consultations Dady Diallo, « mon maître qui a vécu 102 ans. C’est le premier thérapeute que j’ai connu », selon le Pr Parès. Puis, il y a eu Abdoulaye Faty (qui est décédé l’année dernière), Ahmed Diaw, Hamady Diéw, Maguèye Ngom. A un moment, dans l’hôpital, il y avait trois Haal-Pulaar, un Sérère et un Mandingue. « Il y a une année au cours de laquelle nous avons accueilli jusqu’à 275 lépreux. Sans aide, tout en ayant tout le monde contre nous », ajoute Mme Parès. Sur les photos, l’on distingue les images de visites d’officiels, de ministres, d’ambassadeurs, de recteurs d’université et de chefs religieux.
Par : Demba Silèye DIA
Présentation des produits : Comment améliorer le contenant – 20/06/2003
Les pommades et les sirops sont présentés dans des bouteilles et des bocaux, tandis que les poudres sont dans des sachets. Ce qui provoque quelques petits pincements au cœur du docteur Mamadou Oumar Dia. Ce pharmacien industriel est un passionné à la phytothérapie qui collabore avec Mme Parès afin d’apporter une touche moderne à la formulation galénique (la présentation des produits) pour répondre à des impératifs de marketing. Le Dr Dia souhaiterait que « ces poudres et autres soient mises sous forme de gélules, élixirs…, afin d’améliorer les caractères organoleptiques (goût, odeur, etc.). Il faut qu’on améliore la présentation de ces médicaments. On doit travailler activement dessus avec les guérisseurs traditionnels ». Il s’agit de développer une synergie entre l’approche empirique du Dr Parès et celle moderne, afin de faire accepter plus facilement les médicaments à la majorité des patients. Pour cela, indique le Dr Dia, il faut développer quatre des cinq « P » du marketing : le produit lui-même dont on doit améliorer la qualité et le conditionnement, les prix qu’il faut rendre compétitifs, une publicité adéquate à mener et une promotion à appliquer. Il faut rappeler que la 1re année de la faculté de Médecine accueille, chaque année, trois cents étudiants. Et les six meilleurs d’entre eux sont toujours choisis pour être orientés en pharmacie industrielle.
Par : D. S. DIA
La santé par les plantes : Quatre-vingts produits pour soigner le sida – 22/06/2003
La médecine par les plantes a toujours permis de soulager l’homme. Mais depuis une soixantaine d’années, elle est combattue sans répit par la médecine moderne. Pourtant, cette dernière commence déjà à s’essouffler, alors que sa devancière garde toujours ses vertus.
« Pour lutter contre la pandémie du sida, un effort de coordination étendu à tous les savoirs médicaux de la planète » doit être fait, indiquait Boutros-Boutros Ghali, le 1er décembre 1992, au siège des Nations-Unies à New-York. Cette assertion, le docteur Yvette Parès de l’hôpital traditionnel de Keur Massar l’a faite sienne. Rien que pour le traitement du sida, on trouve en cet endroit situé à Keur Massar, près de vingt-quatre produits allant des décoctions complexes aux produits à usage externe, en passant par les mélanges de poudres. Il en est de même pour les diverses hépatites, la tuberculose, le paludisme, etc. Présentant sa structure en décembre 1999, le Pr Parès indique que, « depuis l’aube des temps, les humains ont toujours fait appel aux plantes pour soulager les maux et rétablir leur santé.
Ainsi, sont nées les nombreuses médecines traditionnelles qui ont traversé les millénaires, transmettant et accumulant les connaissances parvenues jusqu’à nos jours en vaste patrimoine thérapeutique. Dans ce long cheminement de l’humanité, il n’apparaît qu’une exception, la médecine moderne née en Europe, il y a soixante ans. Ses activités reposent sur des armes qui commencent déjà à s’émousser. Les antibiotiques, très efficaces à leur début, s’avèrent de plus en plus inopérants. Les substances chimiques dévoilent leurs effets secondaires souvent très graves. Cette médecine récente sera bientôt contrainte de demander le secours des plantes médicinales pour traiter ses patients. Il apparaît que la santé par les plantes ne pourra être contournée ». Mais, c’est pour ajouter, en se demandant si les ressources végétales seront suffisantes pour faire face à tous les besoins sanitaires.
Se limitant à la situation au Sénégal, le document rédigé par Mme Parès indique que les tradipraticiens ont manifesté leur inquiétude. Ils se demandent si, dans quinze ou vingt ans, il n’y aura pas une grave pénurie empêchant l’exercice normal de la médecine traditionnelle. Ils ont alors lancé un cri d’alarme à propos des sécheresses périodiques, les récoltes qui se font sans respect des plantes et de l’avenir, le pillage de certaines espèces pour des exportations si bien qu’elles sont en voie de disparition, les feux de brousse et les défrichements, l’insuffisance du reboisement des arbres médicinaux. A cela, il faut ajouter d’autres facteurs préoccupants comme l’augmentation des malades graves qui nécessitent des traitements de longue durée, l’accroissement des affections dites de civilisation (diabète, hypertension) les cas très nombreux de paludisme en période d’hivernage, la croissance démographique qui entraîne une plus grande potentialité de malades. Ce qui fait dire qu’il est urgent de chercher des remèdes à ce mal.
Parmi les solutions proposées, une étroite collaboration avec le monde rural et le service des Eaux et Forêts « qui ont un très grand rôle à jouer pour la santé des générations actuelles et futures ». Les plantes médicinales se répartissant en herbes, arbustes et arbres, des cultures de plantes herbacées pourraient être réalisées dans les villages. Mais pour préserver les vertus médicinales de ces plantes, leur culture exclut l’emploi d’engrais et de pesticides. La culture biologique de céréales telles que le riz, le mil, le maïs, coton… serait aussi très appréciée. Les arbustes ne sont pas difficiles à multiplier. Les arbres, eux, relèvent spécialement du service des Eaux et Forêts. C’est pourquoi les programmes de reboisement devront prendre en compte les arbres médicinaux. Pour certaines plantules qui entrent dans les soins des enfants, il est nécessaire de faire des pépinières naturelles. Mais il y a aussi les dérivés des végétaux, comme le miel, qui est utilisé dans un grand nombre de préparations, et qui doit être maintenu à l’état pur.
Mme Parès dégage des perspectives à moyen terme. Selon elle, « les besoins sanitaires toujours plus grands donnent à penser que, dans un avenir pas trop lointain, il y aurait nécessité de création d’une pharmacie centrale d’approvisionnement en médicaments traditionnels préparés sous la surveillance de thérapeutes de haut niveau. Dès lors, les cultures de plantes herbacées, arbustes, plantules et l’exploitation soigneusement réglementée des forêts d’arbres médicinaux trouveraient de larges débouchés ».
Par : Demba Silèye DIA
Du centre de soins a l’hôpital : La lèpre dans le rétroviseur et le sida en ligne de mire – 22/06/2003
De sa naissance à sa consécration, beaucoup de chemin a été parcouru. Et il aura été parsemé d’embûches. Mais les obstacles ont su être surmontés. L’hôpital traditionnel de Keur Massar, structure de médecine africaine, n’était au départ, en 1980, qu’un modeste centre de soins anti-lépreux ouvert dans une maison vétuste, au cœur de la brousse.
Trois facteurs ont présidé à la création de ce centre : les résultats de longues recherches scientifiques (1969-1979) menées au Centre de recherches biologiques sur la lèpre avec l’obtention de la culture de la mycrobactérie lépreuse et la mise en évidence du pouvoir antibiotique de diverses plantes du Sénégal utilisées dans le traitement de cette maladie. Il s’y ajoute l’état des lépreux recevant, depuis des années, la chimiothérapie, qui montrait la nécessité d’une autre approche thérapeutique et la rencontre décisive avec des spécialistes de la maladie.
« Cette initiative trop en avance sur les mentalités de l’époque allait susciter beaucoup d’opposition », selon la directrice Yvette Parès qui ajoute que, malgré tous ces obstacles, le centre poursuivit son chemin et son développement avec le soutien de diverses œuvres caritatives. Quatre thérapeutes de très haut niveau viendront élargir l’équipe médicale. C’est ainsi que, de 1980 à 1984, le centre ne se limitera qu’au traitement de la lèpre. Plus de deux cents patients adultes et adolescents seront traités. Mais, de 1983 à 1987, les soins ont été étendus aux villages de lépreux, avec la création d' »annexes » confiées à des responsables formés au centre. En 1984, à la demande des populations environnantes, les consultations externes en médecine générale ont été ouvertes. L’année suivante, le centre de soins prend le nom d’hôpital traditionnel. En 1986, un lieu de traitement a été organisé en ville pour les lépreux des rues de Dakar à leur sollicitation. Mais c’est en 1987 que sont venus les premiers patients confrontés à l’infection au Vih/sida. Les recherches thérapeutiques dans ce domaine pouvaient alors démarrer. En 1999, l’hôpital participe au premier congrès international des médecines traditionnelles et infection au Vih/sida. Mme Parès dirige un atelier intitulé « L’implication des tradipraticiens dans la recherche thérapeutique pour l’affection Vih/sida ». Puis, c’est la participation à la Fiara. En 2000, les agents de cet hôpital seront accueillis avec succès par la technofoire de Kolda.
L’an 2000 a marqué les vingt ans de l’hôpital, mais entre-temps, le monde a beaucoup changé, notamment avec l’émergence de nouvelles maladies. C’est pourquoi ses agents tentent de poursuivre leur œuvre afin de répondre aux besoins anciens et nouveaux. Si cette structure intervient, sur le plan médical, dans la lutte antilépreuse (au niveau des villages de reclassement de Mballing, Sowane et Koutal et chez 200 malades des rues), dans la médecine générale et dans la médecine préventive (pour la lèpre, la tuberculose et le paludisme), ses opérations sont diversifiées sur le plan pharmaceutique. A côté des actions de reboisement.
Dans le domaine social, on compte les hospitalisations gratuites pour les malades indigents, l’accueil annuel de 100 à 120 enfants venus des villages de lépreux pour divers traitements curatifs et préventifs, la scolarisation des enfants dans une école de cinq classes reconnue par l’Etat et qui produit de bons résultats aux examens, la distribution régulière de couvertures, de vêtements au niveau de l’hôpital, des villages de reclassement…
Malgré les crocs-en-jambe de la médecine moderne, « ce renouveau a mis en évidence les grandes potentialités du Sénégal dans le domaine sanitaire et spécialement pour la lutte contre les redoutables fléaux de notre temps. Le rejet des connaissances du passé sur tous les continents a été une grave erreur. Le moment est venu de la réparer », selon Mme Parès. Et de conclure : « L’hôpital traditionnel de Keur Massar, engagé sur ce chemin, souhaite que se réalise, un jour, la rencontre de toutes les médecines du monde, avec leur pleine vitalité. »
Par : D. S. DIA
Portrait de Madame Yvette Parès : De la science occidentale à la médecine traditionnelle – 22/06/2003
Après avoir fait une bonne partie de sa carrière dans les sciences et la médecine moderne, elle se rend compte que cette dernière n’est pas complète. C’est ainsi qu’elle se tourne vers les tradipraticiens qui lui ont donné satisfaction. Itinéraire d’une universitaire devenue une référence dans la médecine traditionnelle.
La vie du professeur Yvette Parès est marquée par deux sources de savoir habituellement opposées : science et tradition. C’est de la rencontre des deux qu’est né l’hôpital de Keur Massar, « où le patrimoine thérapeutique de l’Afrique s’est révélé dans toute son immense richesse », selon la présentation faite par la Fondation Denis Guichard.
Formée en biologie et physiologie végétale, Mme Parès étudie ensuite la microbiologie du sol. Docteur en sciences naturelles, elle enseigne et poursuit ses recherches à l’université de Dakar. C’est alors qu’elle découvre la clé de la lutte contre la lèpre. Auparavant, devenue docteur en 1968, elle s’illustre en 1972, dans une découverte scientifique mettant fin à un siècle d’essais infructueux : elle réussit, pour la première fois, la culture du bacille de la lèpre. Alors, par la méthode des antibiogrammes, elle observe l’efficacité des plantes anti-lépreuses utilisées dans la pharmacopée traditionnelle face à la chimiothérapie qui n’offre pas de résultats probants auprès des malades.
Encouragée par ces résultats, elle va chercher du renfort auprès d’un autre savoir : la médecine traditionnelle. En 1987, les premiers malades du sida font leur apparition. « Dans ce domaine également, la médecine traditionnelle peut se montrer efficace et ouvrir grand les portes de l’espoir », indique la note de la fondation. « La tâche essentielle en ce début de troisième millénaire ne serait-elle pas d’œuvrer pour le rapprochement et la rencontre des médecines des cinq continents avec l’espoir de faire reculer les fléaux déjà présents et ceux qui montent à l’horizon ? », se demande Mme Parès au bout d’un séjour de trente-deux ans au Sénégal, avant d’ajouter, après avoir fait une comparaison des médecines traditionnelle et moderne (comparaison profitant à la première) : « Notre souhait le plus profond est que ce témoignage porté sur la médecine africaine suscite de nouvelles conceptions et réalisations pour la santé du monde, en mobilisant les savoirs, les intelligences et les cœurs dans un vaste mouvement planétaire. Ne serait-ce pas la meilleure des mondialisations ? »
Par : D. S. DIA