Que vivent les lépreux avec leurs corps et leurs âmes ?
Le Dr Yvette Parès nous transmet trois histoires de patients qui venaient des villages de « reclassement social » (les léproseries au Sénégal) et furent soignés à l’Hôpital Traditionnel de Keur Massar (HTKM).
A.T., homme de 35 ans, traité depuis de nombreuses années par la chimiothérapie
Il est arrivé à l’HTKM dans un état de grande faiblesse avec des taches cutanées, une paralysie cubitale droite et un mal perforant au talon droit (ulcère profond avec écoulement permanent).
Les troubles de la sensibilité (froid, chaud, tact, douleur) étaient très importants. Un exemple en donnera une idée concrète : ce patient fumait de temps à autre. Lorsque la cigarette était presque consumée, il n’en sentait pas la chaleur, il en résultait une brulûre dont il n’avait pas conscience, ne ressentant pas la douleur.
Le traitement antilépreux de la médecine traditionnelle le ramena progressivement à la santé. Pour la sensibilité cutanée, les tests pratiqués chaque semaine sur le membre supérieur droit montrèrent le retour d’une sensibilité normale à partir de l’épaule, sur environ 10 cm. Puis chaque semaine, on observait une avancée de 10 cm jusqu’au moment où la sensibilité fut retrouvée au niveau de la main. Il n’y eut plus de brûlure par les cigarettes.
Le mal perforant ancien reçut les soins appropriés :
- lavage avec une décoction détergente ;
- application d’une lotion antiseptique ;
- introduction dans le mal perforant d’un mélange de poudres antiseptiques et cicatrisantes ;
- application d’une pommade ;
- puis un bandage était mis en place et une chaussette enfilée afin de le garder propre le plus longtemps possible. Le pansement avait lieu deux fois par semaine.
La guérison fut obtenue après un peu plus de 4 mois. Il n’y eut pas de récidive.
Les lépreux des rues de Dakar ont connu de même la guérison de leurs maux perforants plantaires, infirmité qui handicapait lourdement leur vie.
M.G., homme de 30 ans, traité depuis plusieurs années par la chimiothérapie
Il présentait une paralysie cubitale droite. Le tonus musculaire de la main était si faible qu’il ne pouvait tenir une feuille de papier entre le pouce et l’index : elle s’échappait invariablement.
Après quelques mois de traitement par voie interne, bains de mains et massages avec une huile médicamenteuse, le tonus était revenu au point que le patient participait, à l’arrivée de la voiture, au déchargement du matériel et des vivres.
R.F., jeune femme de 32 ans traitée auparavant par la chimiothérapie
Elle était arrivée dans un état de très grande faiblesse, avec des taches cutanées et une paralysie de la jambe droite conférant la démarche qualifiée de « steppage ». De plus, le visage était couvert d’ulcérations suintantes qui attiraient des nuées de mouches venues d’on ne sait où.
Le premier travail fut de la préserver de cette invasion par un chapeau de brousse muni d’une voilette en tissu assez transparent pour permettre la vision. Après quelques semaines de traitement, l’état général s’était fortement amélioré et les ulcérations cicatrisées. Le port du chapeau n’était plus nécessaire.
Deux anecdotes
1 – Des dames suisses au cœur généreux visitaient chaque année tous les villages de reclassement social du Sénégal, en d’autres termes les léproseries. Elles terminaient leur périple en venant à l’Hôpital Traditionnel de Keur Massar.
Un jour, la dame qui, par sa personnalité, menait le groupe me dit :
« Ici, c’est le dessert ! » Par ces paroles, elle comparaît l’aspect de nos malades à ce qu’elles avaient observé en d’autres lieux.
2 – Des visiteurs venus à l’HTKM avaient croisé sur l’un des chemins intérieurs un groupe de patients fortement améliorés et qui se rendaient à diverses occupations. Une question me fut posée : « Qui sont ces personnes ? Ce ne sont pas des malades ? » Je leur dis que c’étaient bien des malades pour qui les traitements de la médecine africaine avaient eu ces effets bénéfiques.
Ces propos venus de profanes, n’appartenant pas au milieu de la santé, exprimaient de façon simple l’efficacité des traitements pratiqués à Keur Massar.
Le 21.09.09
Dr Yvette Parès
Professeur à l’Université de Dakar de 1960 à 1992
Dr ès-science
Dr en médecine
Directrice du centre de recherches biologiques sur la lèpre de 1975 à 1992
Directrice de l’Hôpital Traditionnel de Keur Massar (Sénégal) de 1980 à 2003